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Sylvie Laroche, actuelle


    
    La   vie aurait un sexe. Sylvie Laroche saisit à pleines mains cette hypothèse, sorte   d’irisation de verre éjaculé. Son dessin, aux circonvolutions innombrables, se   développe d’une serre patiemment bâtie. Il est pudique de penser qu’elle   reproduit en de multiples exemplaires une vision onirique, troublante, de   l’existence. Les passants passent, les regards se chantournent, les désœuvrés   s’étourdissent quand Elle laisse une trace. De cela, il s’agit. D’une trace. Un   pied posé sur terre, une terre à peine boue, à peine sèche.
    Cette femme se   refuse à peindre. Elle dessine. Son doigt s’insinue dans le liquide lourd   qu’exprimait Bunuel en tranchant l’œil de la femme à barbe. Elle est dure comme   une vierge maya-quitché. Elle est molle en robe de Gala, la facile d’Eluard et   la morte de Dali.
    Ses craies poudroient dans ses yeux, faisant naître de   légères particules de couleurs, proches des filaments de lumière qui changent le   ciel où elle vit en Normandie, certains soirs d’octobre.
    Ce n’est pas   irraisonné ni indélicat de retrouver dans le travail plastique de Sylvie Laroche   une fille du feu rêvée par Gérard de Nerval, une façon d’innocence, ce regard   tendre qui rendent les artistes dangereux. Sylvie Laroche touche directement   l’âme, ou ce qui y ressemble. Elle arrange en peu de temps l’étal du boucher   dans un parterre de violettes. Elle inonde la nuit d’une pâleur de nuque   entr’aperçue à la lune. Elle insiste sur la solitude. Elle agace les arbres, et   frissonne parfois toute une journée, allongée, souffrante, inutile. Son   rayonnement n’est jamais aussi grand que lorsqu’on croit qu’elle travaille, que   ses mains prennent couleur, que des traces de gouache enfarinent ses   cheveux.
  
  

  
    Les dessins de Sylvie Laroche donnent une conscience à   l’ouvrage le plus modeste du quotidien. Tout s’y éclaire, menace. Nous convenons   avec elle qu’il faut toujours retenir la couleur par quelque artifice, que les   mots ne sont pas que sens mais aussi chair, qu’ils habitent notre monde. Les   dessins de Sylvie Laroche frôlent l’état naturel de l’humanité dans leurs   partitions complexes, l’expression de la nudité vue de l’intérieur du corps.   Elle sait cadrer la nuit et laisser la lumière à sa place, usant des techniques   les plus habiles, d’un savoir-faire d’ogre inimaginable chez un être si délicat.   Sylvie Laroche est actuelle. 


    
    © Eric Sénécal  - Dessins   Sylvie Laroche